LE SIGNE DU CHAMP (Claire Guézengar)


Le travail de Jean-François Guillon est traversé par la question du signe qu’il explore et exploite à travers des installations, des dessins, des sculptures et des photographies, se caractérisant par leur esprit humoristique et leur filiation avec une certaine forme de burlesque.

Souvent ponctués de phrases, de mots ou de simples signes typographiques, ses travaux mettent en œuvre une poétique élémentaire du langage qu’il utilise pour son efficacité plastique. Lors de sa résidence à Amalgame, il s’est intéressé à l’onomatopée, un mot qui est “ un peu moins qu’un mot ” et qui tente de reproduire au plus près un son. Même si l’on a exclu depuis longtemps que les onomatopées étaient à l’origine du langage, elles n’en gardent pas moins un aspect primitif qui leur confère une expressivité immédiate. La Caisse enregistreuse se présente comme un arrêt sur image. Si son apparence provoque un instant le trouble quant à sa fonction, celui-ci est vite dissipé par une mise en scène qui ne révèle en fait que du silence. Cet instrument est un leurre muet qui ne capte et ne transmet aucun son, mais qui, à l’instar de 4’33’’ de John Cage, rend attentif aux bruits environnants. Le ruban d’onomatopées que déroule la caisse suggère une partition absurde et renvoie à une autre pièce de l’exposition, La Langue des oiseaux, qui fonctionne comme une phrase musicale. Constituée de silhouettes d’oiseaux réalisées en feutrine et posées sur un fil invisible, la pièce évoque une tentative presque enfantine de retranscription du chant des oiseaux. Le Pire du signe suggère un protolangage, un essai pour s’approcher au plus près d’une écriture qui n’en serait pas tout à fait une, une langue en deçà de la langue, faite de rebuts patiemment réorganisés en vue d’un sens qui n’émergerait jamais.

Depuis une dizaine d’années, Guillon a entrepris Choses lues, une série de photographies dans l’espace urbain. En position de flâneur qui s’adonne à la dérive situationniste, il s’attarde sur les signes qui constituent les cités modernes, sur les traces de vernaculaire qui résistent à l’uniformisation des villes. Ici, c’est à la collecte de signes dans le paysage rural qu’il s’est soumis : pour un citadin non averti, les chiffres fluorescents inscrits sur les troncs des arbres coupés ou les piquets aux couleurs vives figés dans les champs représentent des signes quasi kabbalistiques. 

Avec Une heure à Vesoul , il se livre à un portrait de ville à travers soixante images “ arrêt minute ”, comme si le sujet de l’image – une pancarte de signalisation “ arrêt minute ” – s’énonçait ici telle une injonction à effectuer une “ photo minute ”. Le cadrage de l’image ainsi que la réitération du même panneau au centre de l’image pourraient laisser croire à une manipulation “ manuelle ” (le panneau a été déplacé pour les besoins de l’image) ou technologique (de type Photoshop), alors même qu’il s’agit d’un prélèvement de la réalité urbaine vésulienne et que l’on se trouve ici face à des situations trouvées. Comme un touriste perdu, Guillon reconstruit ses repères et montre ici toute la plasticité du banal.

Par Claire Guézengar. (Plaquette Amalgame, 2011)